Entretien avec Christian Grenier
le 17 septembre 2003

Christian Grenier, bonjour. Vous avez été enseignant, puis avez progressivement cessé d'enseigner pour vous consacrer à l'écriture. Aujourd'hui, vous êtes l'auteur de plus de 85 romans. Si l'on peut dire que l'écriture est souvent une vocation plus qu'un métier, le scénario est quelque chose de radicalement différent. Comment avez-vous appris le métier de scénariste ?

Après m'être occupé pendant six ans de la collection « Folio Junior science-fiction » pour les éditions Gallimard, j'ai été contacté par mon ami Jean Ollivier, qui a aujourd'hui 78 ans, et qui travaillait aux Éditions Vaillant, l'éditeur de Pif, en tant que rédacteur en chef. Il m'a engagé pour écrire des scénarios de BD. C'est donc lui qui m'a mis le pied à l'étrier dans ce domaine, puisque je n'avais jamais écrit de scénario auparavant.

Plus tard, au moment où j'ai quitté Pif, j'ai reçu un coup de fil de Nina Wolmark. Elle s'est à peine présenté, du coup je ne l'ai pas située du tout ; elle n'a pas précisé qu'elle était co-auteur d'Ulysse 31 et a juste indiqué que son mari était producteur et qu'elle cherchait des scénaristes susceptibles de lui donner un coup de main sur une série abordant la SF. Son mari, Gilbert Wolmark, était producteur et patron de la Sofirad, qui se trouve à Montreuil, et qui allait devenir France Animation.

Les Mondes Engloutis ont été réalisés là, et chez quelques sous-traitants. Au total, pas loin de 400 dessinateurs ont travaillé sur la série !

 

Comment avez-vous commencé votre travail sur Les Mondes Engloutis ?

Nina et Gilbert Wolmark m'ont invité chez eux. Nous avons alors travaillé des jours entiers, elle et moi, et cela durant une semaine.

Le projet envisageait 26 épisodes de 26 minutes. Nina Wolmark devait donc en écrire environ un par semaine pour alimenter le studio. Quand elle a fait appel à moi, elle avait déjà écrit un bon nombre d'épisodes, mais commençait à ne plus pouvoir fournir. J'avais fait un peu de BD, ce qui est somme toute relativement proche en ce qui concerne le scénario : on choisit des cadrages, on décrit l'action dans les plans, et on écrit des dialogues.

J'ai alors commencé à écrire mon premier épisode, Guérisseur d'étoiles. C'était quelque chose de nouveau pour moi, les contraintes me semblaient énormes… j'ai passé un mois dessus. J'avais avec moi un énorme dossier rédigé par Nina Wolmark, contenant tout ce qu'il fallait savoir sur les Mondes Engloutis, sur Arkadia, sur les personnages, leurs expressions favorites… Dans le jargon du métier, on appelle cela la « bible ». Eh bien, la bible des Mondes Engloutis, elle faisait cent pages !

 

À quel genre de règles avez-vous dû vous plier ?

Parmi les contraintes d'écriture, il fallait que chaque épisode puisse être divisé en deux parties de 13 minutes, sans que la coupure soit trop abrupte. Et puis il fallait essayer de placer La Danse des pirates, parce que cela permettait à chaque fois au compositeur de toucher des droits… Très vite, cette contrainte m'est sortie par les yeux !

Le processus d'écriture était épuisant. Nina écoutait mes idées, et réagissait en disant « oui, ça c'est pas mal, creusez. » Puis je commençais à écrire… et là il fallait souvent changer certains détails, ou des séquences entières, pour des raisons de budget ou de commodité. Je me rappelle qu'à un moment, alors que je travaillais sur L'Échiquier des Mondes, j'avais imaginé des scènes sous-marines. Mais Nina m'a dit que c'était impossible, trop cher à réaliser. Pas de scènes sous-marines.

 

Il y avait aussi certaines contraintes budgétaires…

Évidemment. Je pouvais écrire une histoire qui se passe dans une sorte de forêt équatoriale, et la rencontre avec une sorcière, mettons, et Nina me disait : « Excellent, oui. Mais la forêt, on n'a pas encore de décor correspondant ; en revanche on a en réserve des décors de désert qui n'ont pas été beaucoup utilisés. Est-ce que vous pourriez garder la sorcière et transposer votre histoire dans le désert ? »

Pour toutes ces raisons, j'étais aux ordres, pour ainsi dire.

Le sommet à été atteint un jour où Nina Wolmark m'a téléphoné pour me révéler que je disposais de 3 jours pour écrire un épisode ! J'ai répondu que c'était impossible, mais elle m'a expliqué que non, pas du tout, en fait cela serait très facile, car le budget était pratiquement épuisé, et les délais très courts, donc cet épisode devrait être constitué à 80 ou 90 % de plans extraits d'épisodes déjà réalisés. Mais pour moi, ça n'était pas plus facile pour autant : cette contrainte de réutiliser des extraits d'anciens épisodes me laissait une marge de manœuvre très étroite pour écrire une histoire intéressante ! Mais j'ai finalement eu une idée, et ç'a donné Docteur Test.

 

Quel aura été le moment le plus insensé ?

C'est sans doute le moment où, alors que l'écriture des 26 premiers épisodes était achevée, Antenne 2 a dit « banco » et a débloqué le budget pour la production d'une seconde série de 26 épisodes. La diffusion n'avais pas encore commencé, mais il fallait enchaîner et se lancer dans l'écriture de 26 épisodes de plus… et imaginer une nouvelle fin, bien entendu !

Là, Nina a jugé qu'on n'y arriverait pas, et elle m'a demandé de trouver quelques scénaristes pour nous aider. J'ai donc contacté mes amis écrivains de SF, et c'est comme ça que Joëlle Wintrebert et Michel Jeury sont arrivés.

 

Le nom de Michel Jeury n'apparaît pourtant pas au générique.

Michel Jeury avait eu l'idée d'un épisode intitulé Cyrano de Borbotrak. Mais il a eu beaucoup de mal à faire entrer cette histoire dans le moule d'un scénario, avec toutes les contraintes dont j'ai parlé, et très vite il a jeté l'éponge. Du coup, c'est moi qui ait repris le scénario. Si le nom de Michel Jeury n'apparaît pas au générique, l'idée d'origine était cependant de lui. Il a été payé pour son idée, bien sûr, mais au forfait, pas au pourcentage, et c'est sans doute la raison pour laquelle il n'est pas crédité.

Il est très possible que ce ne soit pas le seul cas de ce genre. Il y a sans doute un ou deux autres épisodes dont l'idée de base a été apportée par quelqu'un qui n'a pas poursuivi au-delà, et dont le nom n'est pas resté.

Le plus drôle, c'est que lorsque nous nous sommes lancés dans l'aventure, tout n'était pas prévu à l'avance. Donc à un moment donné, il a fallu écrire les derniers épisodes. Je me rappelle qu'il y a eu un grand brainstorming entre Nina et moi, et nous nous sommes dit « bon, comment est-ce que le Shagma peut guérir ? »

 

Quels souvenirs gardez-vous de cette aventure ?

Je garde donc des Mondes Engloutis le souvenir d'une période de travail harassant. Il m'arrivait d'y travailler 12 ou 14 heures par jour. C'étaient d'incessantes allées et venues entre Nina, France Animation et moi. Nous n'avions pas le fax, à l'époque (le milieu des années quatre-vingt), il fallait donc se déplacer, ou envoyer des coursiers… Autant dire que lorsque les épisodes enfin réalisés m'arrivaient sur cassette, je ne les regardais jamais, tout ça s'entassait dans des cartons. Je pense qu'il y a un très grand nombre d'épisodes que je n'ai jamais vus.

Et puis ce travail n'était pas totalement satisfaisant pour moi. Le dessin animé pour la télévision, c'est tout de même une grosse machine, on a l'impression de faire de l'industrie plus que de l'art.

 

Avez-vous eu d'autres propositions, par la suite ?

Après Les Mondes Engloutis, il y a eu Rahan, une aventure que je ne pouvais pas manquer puisqu'elle me ramenait à Pif, à Lecureux avec qui j'avais fait de la BD… la boucle était bouclée. Mais après Rahan, quand Nina Wolmark m'a proposé autre chose, un projet avec des marionnettes, je crois, j'ai décliné. C'était un métier lucratif, mais je préfère de très loin écrire des romans.

 
© Hervé de La Haye et Christian Grenier, 2005. Reproduction interdite.