Entretien avec Joëlle Wintrebert
le 18 octobre 2005

Joëlle Wintrebert, bonjour. Le public vous connaît essentiellement comme auteur de romans de science-fiction. Pourtant, vous avez fait des études de lettres, puis de cinéma, qui vous ont d'abord conduit assez naturellement au métier de scénariste.

Tout a commencé par un court-métrage que j'ai réalisé à la fin de mes études. Quelque temps après, j'ai été contactée par Guy Saguez, qui s'apprêtait à réaliser une série télévisée intitulée Arpad le Tzigane, et pour laquelle il cherchait un co-scénariste. La série comptait 26 épisodes et j'en ai écrit la moitié. Mais j'étais jeune, inexpérimentée — j'ignorais que, payée au forfait et non au pourcentage, je ne verrais même pas mon nom apparaître au générique, contrairement à ce que m'avait annoncé Guy Saguez. Vous pouvez imaginer ma déception.

 

Cette expérience ne vous a pas découragée pour autant.

Guy Saguez, qui était devenu un ami, m'a présentée à Christophe Izard, qui produisait et écrivait L'Île aux enfants et qui cherchait des co-scénaristes. Dans ce métier, quand le créateur d'une série, auteur de ce qu'on appelle la « bible » (qui décrit les personnages principaux et leur univers) permet aux scénaristes d'écrire de nouveaux épisodes, il touche un pourcentage sur les droits d'auteur de chaque épisode, même s'il n'en a pas écrit la moindre ligne – c'est le privilège du créateur originel. Et là, le pourcentage que Christophe Izard laissait à ses scénaristes me paraissait trop faible. J'ai décliné son offre et je n'ai donc pas écrit d'aventure de Casimir !

 

Comment êtes-vous entrée dans l'équipe des Mondes engloutis ?

Mon ami Christian Grenier m'a contacté au moment où Antenne 2 a passé commande de la seconde série de 26 épisodes : Nina Wolmark avait besoin de recruter pour pouvoir tenir les délais.

Avec Nina, les choses ont été d'emblée d'une clarté parfaite. Le pourcentage qu'elle prenait sur chaque épisode était d'ailleurs plus élevé encore que celui de Christophe Izard ! Mais nous nous sommes bien entendues, le projet m'intéressait, Christian y participait également… Je me suis lancée.

J'ai écrit trois épisodes de A à Z, scénario, adaptation et dialogues. Je me souviens très bien des Hommes-Caméléon et de Bic et Bac superpangolins, et je crois également avoir commis Drôles de vacances…

 

Pour un écrivain, il n'est pas forcément évident de se conformer au moule du scénario.

Le scénario n'a rien à voir avec le roman : il n'y a absolument aucun enjeu littéraire, hormis peut-être dans l'écriture des dialogues. Une fois ce principe accepté, l'écriture était plutôt facile et rapide. Nina a pris mes trois épisodes tels quels, pratiquement sans retouche ou intervention de sa part. J'en garde le souvenir d'un travail certes alimentaire, mais créatif et amusant.

Quant aux contraintes, elles peuvent être très stimulantes. Les Mondes engloutis reposait sur une idée très riche : les épisodes se déroulent dans des univers très différents les uns des autres. Cela permet à chaque scénariste d'injecter un petit quelque chose de personnel puisqu'il faut à chaque fois inventer un monde. Ceux qui connaissent bien mes livres ont tout de suite vu que j'avais écrit Les Hommes-caméléon, par exemple. Faire travailler quelques bons scénaristes est donc intéressant pour le producteur et enrichissant pour la série.

 

Christian Grenier, que nous avons rencontré, ne l'a pas vécu exactement de cette façon…

Ah, Christian est d'une grande générosité, il est très prodigue de ses idées, mais on ne peut pas le brider ! Et puis, de mon côté, il faut bien dire que je n'ai pas connu de situation aussi extrême que l'écriture d'un épisode presque entièrement constitué d'extraits d'épisodes existants, comme il a dû le faire avec Docteur Test…

 

Après Les Mondes engloutis, qu'avez-vous fait en tant que scénariste ?

Immédiatement après, j'ai retrouvé Nina Wolmark pour Rahan, fils des âges farouches. J'ai écrit 7 épisodes sur les 26 que compte la série.

Le travail était très différent, puisque nous partions d'histoires déjà existantes choisies parmi les BD de Chéret et Lécureux. Il s'agissait donc uniquement de faire l'adaptation et les dialogues.

Évidemment, le personnage de ce beau blond qui va porter la science et la sagesse à toutes ces peuplades primitives m'a parfois paru un peu suspect. Mais il y a également un message écologique et fraternel que je trouve important.

 

Vous avez très longtemps été, en France, la seule romancière de science-fiction. Comment êtes-vous venue à ce genre particulier ?

Ma fascination pour la SF est venue à l'adolescence, grâce à une amie qui m'a ouvert sa bibliothèque. Avant, j'avais évidemment lu avec plaisir et intérêt les classiques comme Wells, Orwell, Jules Verne, Lovecraft. Avec cette amie, contrairement à beaucoup d'écrivains qui sont venus à la SF après l'avoir découverte dans des collections populaires comme le Rayon Fantastique ou le Fleuve Noir, j'ai découvert la SF dans la prestigieuse collection Ailleurs et Demain, chez Laffont. J'ai tout simplement été happée.

 

Et comment êtes-vous devenue écrivain ?

Quelques années plus tard, j'avais une amie critique cinéma à la revue Horizons du fantastique, que dirigeait à l'époque Marianne Leconte. En 1975, lorsque cette dernière a quitté la revue avec pertes et fracas, mon amie a donné mon nom au directeur de la publication, et je me suis retrouvée rédactrice en chef.

Très vite, j'ai fait connaissance avec le microcosme de la SF française, ce qu'on appelle le fandom : les éditeurs, les journalistes, les auteurs, les lecteurs… Quand je suis arrivée là, j'avais déjà commencé à écrire, et on m'a dit : « Pourquoi ne pas écrire de la SF ? » J'ai commencé avec des nouvelles, publiées ici et là. Mon premier roman a paru en 1980, sur le double thème du clonage et du dopage – on peut dire que de ce point de vue au moins, il n'a pas vieilli !

 
© Hervé de La Haye et Joëlle Wintrebert, 2006. Reproduction interdite.