égyptien, des paysages désertiques, un lac immense). Plus loin, on établit, à la main, le « lay out », une sorte de maquette, en exécutant autant de dessins qu'il y a de personnages dans un plan, le story-board sous les yeux : la belle Arkana partie explorer un monde inconnu pour sauver sa cité, Bic et Bac, petits pangolins, animaux préhistoriques au nez photoélectrique, Spartakus, Indien des profondeurs aux yeux bleus. Un pas, deux pas, trois pas. On trouve face à face avec un écran de télé sur lequel s'animent ces personnages, de face, de profil, de trois-quarts, en contre-plongée. Dans l'élaboration du futur dessin animé, c'est le seul moment où intervient l'informatique. La suite : chaque mouvement est reproduit sur un dessin celluloïd enfin colorié par les gouacheuses. Les 421 200 cellos, pour 1 352 minutes de dessins animés, sont envoyés à Angoulême chez Images-Ordinateur pour être filmés au banc-titre avant de revenir à Montreuil.

« Au début de l'aventure, voici quatre ans, il n'existait pas en Europe de studio capable de réaliser une série de cette importance, explique Gilbert Wolmark, président de France Animation et gérant de RMC Audiovisuel. Jusqu'alors, la presque totalité de la production française se fabriquait au Japon, à Taïwan, en corée et au canada. » Des chiffres : en 1982, sur les quatre cents heures de dessins animés diffusés par les trois chaînes, 5 % seulement étaient de purs produits de chez nous, réalisés par deux cents professionnels français. On ne lutte pas contre trente mille spécialistes japonais fournissant dans des usines-studios et à la chaîne jusqu'à cinquante séries par an. Comme le célèbre Ulysse 31, diffusé sur FR3, également écrit par Nina Wolmark. cette dernière expérience et les neuf mois d'efforts qu'il a fallu pour trouver le graphisme d'Arkana et de Spartakus

méritaient la plus grande qualité. Ajoutez à cela que la naissance de la série a été difficile : « Les responsables de la Compagnie générale du jouet, que j'avais rencontrés à l'époque de la réalisation d'Ulysse 31, voulaient travailler à nouveau avec moi, explique Nina Wolmark, un premier producteur. Les autres : RMC Audiovisuel, Monte-carlo Productions, Télé Hachette. Mais rien n'aurait été monté sans la volonté de Jacqueline Joubert, responsable du département jeunesse d'Antenne 2 qui désirait absolument que la série se fasse en France. Elle s'est battue pour trouver l'argent. En même temps, le ministère de la culture lançait un plan de relance, le « Plan image », destiné à sortir le dessin animé français de sa marginalité. Il développait le Festival d'Annecy. Il créait un marché du dessin animé pour attirer les acheteurs du monde entier. » De quoi servir les intérêts de Rébecca et de Bob, les héros principaux des Mondes engloutis. « cela nous a aidés à ce que la série se fasse en France, raconte Gilbert Wolmark. Le ministère de la Culture a payé une partie du surcoût, en devenant producteur,

ce qui représente 10 % de la totalité de l'aventure. »

Arkana, Bic et Bac et les cinq cent trente-trois autres héros allaient explorer des mondes inconnus à Montreuil, près d'un autre studio, petit poucet comparé à France Animation : Belokapi, à la tête de qui se trouve Nicole Pichon, maman des Viratatoums, diffusés dans « Récré A2 », et de Robostory (cinquante-deux épisodes de treize minutes ayant coûté trois millions cinq cent mille francs), programmés sur Canal Plus en décembre 1985 puis sur TF1 en septembre 1986.


Un titre déjà vendu
dans toute l'Europe

Gilbert Wolmark reprend : « Mais le dessin animé français ne peut exister que s'il est soutenu par les chaînes nationales comme dans d'autres pays. Un producteur japonais commençant une série sait que la diffusion sur le sol national le remboursera à 100 %. Un canadien, lui, le sera à 50 ou 70 %. En France, quand on atteint 25 %, c'est l'exploit. »

Cette vérité ressemblant à un appel, qui ne venait pas du centre de la terre mais des professionnels du dessin animé, a été entendu. Un dernier projet obligerait les chaînes de télévision à diffuser au moins 30 % de séries françaises. Après calculs, elles n'y perdraient rien : « Un épisode de vingt-six minutes s'achète entre quarante mille et soixante mille francs, qu'il soit français ou étranger, excellent ou de moins bonne qualité. En devenant producteurs, ce que les chaînes donnent d'un côté, elles le reprennent de l'autre grâce à la vente du film à l'étranger, par exemple. Les Mondes engloutis ont été déjà vendus à la Belgique, au Luxembourg, à la Hollande, à l'Italie, au Portugal. On négocie avec l'Angleterre, la Scandinavie, l'Australie. Les Américains s'y intéressent. »

De cette première réussite naissent de multiples Arkana, Bic et Bac, et des pirates sous la forme de produits dérivés (figurines, jeux de société, livres, tee-shirts, disques). Ils devraient rapporter énormément. « Nous avons signé les contrats pour dix millions de francs », reprend Gilbert Wolmark.

Si, un jour, Arkana et les autres prennent en main leurs affaires, ils pourraient produire le dernier dessin animé de France Animation : Rahan, fils des âges farouches. Et dans leurs musées de la cité d'Arkadia, aux vieux ordinateurs uax programmes à demi effacés, ils ajouteront un antique projecteur, inventé par Émile Reynaud, créateur en 1889 du premier film d'animation. De 1892 à 1900, le spectacle – Un bon bock – attirait au musée Grévin des centaines de milliers de Français. Si les Arkadiens réussissent leur entrée à la télévision, ils auront sauvé le dessin animé made in France.

A.R.
Photos Mano

Marisa Musy, chef décoratrice,
responsable des 5 200 décors principaux.